Ruby Knox a déménagé à Los Angeles il y a maintenant 6 ans pour devenir une star du X. L’indienne d’Amérique, d’esprit libre et vif, a maintenant 27 ans et explique qu’au début elle s’est lancée dans l’industrie du porno autant pour se trouver elle-même que pour l’argent. Et rapidement elle a eu les deux.

Ces 10 dernières années la Vallée de San Fernando, capitale du porno US, a été noyée sous l’argent des ventes de DVD et de l’explosion de la vidéo en ligne. Knox a tourné pour des studios comme Hustler et Vivid, empochant quelques nominations aux AVN awards au passage.

Mais en avril dernier elle a pris son ordinateur et a quitté la vallée. Maintenant depuis sa maison de Baja en Californie, Knox fait des shows webcam privés qui coûtent jusqu’à 15 dollars la minute.

Knox n’est pas la seule. Les webcams, ou cams comme on les appelle dans le milieu, étaient au départ un coin sinistre de l’internet adulte, peuplé de filles d’Europe de l’Est et d’enregistrements vidéos de mauvaise qualité. Mais ces dernières années elles sont devenues le moteur d’un nouveau développement du porno sur internet.

Pour les meilleures hôtesses les gains sont énormes. Une fille qui cartonne sur un gros site de cams peut gagner plus de 40.000 dollars par mois. Il y a plusieurs façons de gagner de l’argent pour une hôtesse connue, dont les sessions publiques. Mais pour la plupart des filles le but est de trouver une “baleine”, un gentil monsieur qui dépensera 20.000 dollars par mois sur elles. Ou encore mieux : un membre du Club Platinum, un groupe de fans qui dépensent plus de 100.000 dollars par an.

Les webcams existent quasiment depuis les origines du net grand public mais l’époque où on regardait une starlette éclairée par son écran et affalée sur son clavier est révolue depuis longtemps. Ces dernières années les progrès de l’électronique, les streams vidéos HD et les interfaces sans clavier ont transformé les cams, qui sont passées du statut de simple argent de poche à celui de principale source de revenus de l’industrie du X. Et grâce à des programmes comme Skype les webcams sont devenues une expérience beaucoup plus interactive. Si ce qui plaisait dans les premières webcams c’était leur côté voyeur, aujourd’hui c’est l’intimité qu’elles permettent.

Le secteur des webcams doit autant au téléphone rose qu’au porno. Après tout le but avec les webcams n’est pas de faire jouir rapidement les clients, mais plutôt d’essayer de les garder connectés :  à 15 dollars la minute les préliminaires ont plus d’importance que la jouissance.

Alec Helmy, fondateur et président du magazine Xbiz parle des webcams comme “une des rares sources de satisfaction pour le secteur en ce moment”. Alors que la vidéo est vérolée par le piratage et lutte pour sa survie, les plus gros sites de cam grossissent de 20% chaque année. Et pour sa part Douglas Richter, représentant Adult Webmaster Empire, l’une des plus grandes compagnies de webcam au monde, estime que la taille du globale du marché se situe entre 1.5 et 2 milliards de dollars.

Et là où va l’argent les stars suivent.

Les sites de cams séduisent de plus en plus de stars connues, attirées par l’argent et l’adulation. Un show récent avec Jenna Haze sur LiveJasmin.com a ainsi attiré 10 000 spectateurs payants ! C’est beaucoup d’argent, même dans un secteur habitué à l’argent facile.

C’est la raison pour laquelle aujourd’hui un site comme Live Jasmin peut opérer dans le même espace culturel que celui auparavant réservé aux marques de luxe comme Chandon ou Bentley. Le rappeur Flo Rida a même parlé du site dans sa chanson Hey Jasmin :

Hey girl I see you online, show me your sign
You’re a wild one that’s what I like
You can be screaming, and I maybe beat it
But we still gonna be on Live Jasmin dot com

Live Jasmin n’est peut-être pas encore aussi connu que Playboy, mais ça ne tardera plus.

Le site est actuellement 66ème mondial sur Alexa, ce qui en fait un des 70 sites les plus populaires au monde. Chaque jour en moyenne LiveJasmin.com attire plus visiteurs que le New York Times, Netflix ou ESPN. Par son trafic, et peut-être par ses revenus, c’est la plus grosse compagnie adulte du monde.

La clé du succès des webcams est l’interaction avec l’hôtesse : contrairement au porno traditionnel ce n’est pas quelque chose qu’on peut pirater. Un show cam enregistré c’est comme un animal empaillé : visuellement c’est similaire mais ça manque de vie. Alors pendant que le reste du secteur du porno se bat pour mettre son contenu à l’abri des sites de torrents, le business des cams explose ! Car si les cams appartiennent à la même famille que les vidéos porno, c’est une nouvelle espèce qui est immunisée contre le virus du piratage qui tue ses cousins.

Et elles changent aussi la nature du business dans son ensemble.

Gratuit c’est gratuit !

D’habitude quand un producteur de porno fait un film, il essaye d’en revendre un maximum de copies. Mais avec les webcams le but n’est d’être très regardé mais plutôt de trouver les quelques “baleines” qui ont envie de dépenser gros. C’est le porno pour pour les riches, les fameux 1% dénoncés par un mouvement comme Occupy Wall Street.

“C’est un profit diffèrent. C’est une clientèle différente.” explique Randy Blue. Blue a lancé son site de porno gay il y a presque 10 ans et est rapidement devenu un des plus gros acteurs du secteur, une vraie sucess story sur le marché de la VOD. A un moment, il envisageait de réinvestir ses gains dans la production de vidéos porno mais il n’en voyait pas l’intérêt à long terme. Alors il y a deux il a décidé d’investir massivement dans les webcams.

“Je ne sais pas quoi dire aux gens qui bossent dans le secteur, voient leurs revenus baisser tous les mois mais n’ont toujours pas compris que dans deux ans ils ne seront plus là s’ils ne font rien. Nous sommes en train de vivre le plus grand changement technologique que ce secteur ait jamais connu, le passage de la VHS au DVD c’était rien en comparaison.” explique Blue.

Selon lui le secteur du porno va dans la même direction que tous les médias : la valeur ne réside plus dans le contenu lui même. “Quand vous regardez comment les chanteurs gagnent de l’argent aujourd’hui, c’est avec les concerts qu’ils gagnent leur vie. Quand à l’époque un ticket de concert coûtait 30 dollars, aujourd’hui il en coûte 125. Et parfois ils organisent des concerts plus petits réservés aux fans qui sont prêts à payer encore plus cher.”

Si vous êtes un artiste qui veut rester indépendant, que vous soyez un réalisateur de films, un groupe de rock ou une star du porno, ce qui fait votre succès c’est votre lien direct avec le public, et la seule chose intéressante à vendre c’est un événement live.

Prenez par exemple Kevin Smith, le réalisateur de Clerks, qui a abandonné avec succès les réseaux de distribution traditionnels pour son film Red State au profit d’un spectacle itinérant et d’une vente directe. Ou un comédien comme Louis C.K qui a lui même vendu directement son album concert Live at the Beacon à ses fans avec une réduction très intéressante, et qui maintenant utilise cette connexion directe avec eux pour vendre ses billets de concerts sans intermédiaire. Des groupes comme Radiohead offrent dans la plupart des cas leurs albums mais se rattrapent avec leurs concerts.

Les films pornos continueront sûrement d’exister, mais beaucoup dans le secteur pensent que ça deviendra un produit d’appel, un moyen de faire des upsells. Confrontées à des centaines de tubes qui donnent gratuitement leur contenu, des compagnies comme Pink Visual et Kink.com ont même envisagé d’offrir leurs films pour vendre de la publicité pour des produits comme des sex toys, de la rencontre et bien sûr de la webcam.

Blue n’est pas encore certain que le gratuit soit la solution. “Il y a toute une génération de mecs qui n’ont jamais payé pour de la musique, du porno ou quoi que ce soit. Donc si vous avez 10000 personnes qui ne veulent pas payer, il faut en trouver 1000 qui le feront.”

Et il ajoute que les 10% de personnes qui veulent encore payer pour du porno seront aussi d’accord pour payer plus cher un événement live.

Comme une petite amie

Ces mêmes 10% changent aussi ce qui fait les stars dans ce nouvel univers. Il faut maintenant plus qu’un joli visage et un corps de rêve. Une bonne hôtesse doit savoir créer un lien avec son public et ensuite se vendre.

C’est la relation privilégiée avec le public qui a initialement amené Ruby Knox à la webcam, et c’est une des raisons de son succès dans le secteur. “Dans le porno il n’y a pas vraiment de connexion avec les gens qui vous regardent. On est simplement un produit de leur imagination” explique-t-elle. Alors qu’avec la webcam ses fans peuvent parler avec elle des derniers sujets à la mode sur Reddit tout autant que de sexe.

Knox est une geekette et la majorité de son public est comme elle : des gamers, des hackers ou de jeunes actifs qui bossent de chez eux. Exactement les gens que vous n’imagineriez pas payer pour du porno, et qui pourtant le font généreusement chez elle.

Une bonne hôtesse est un croisement entre Shéhérazade et un camelot. Un show commence bien sûr toujours en étant gratuit, et utilise la plupart du temps un compte à rebours. L’hôtesse allume et excite le public, peut parler de sa journée ou de son envie de sexe ou de ce qu’elle a prévu pour le show. Elle peut présenter les sextoys qu’elle a prévu d’utiliser ou la personne invitée pour l’accompagner pendant son show. Et pendant tout ce temps elle joue la parfaite maîtresse de maison, accueillant les vieux fans qui se connectent tout en faisant de l’oeil aux nouveaux venus. Mais c’est tout ce qu’elle fera gratuitement.

Quand le show commence l’écran devient blanc pour ceux qui n’ont pas payé. Un show peut aller du tchat de groupe à bas prix, où tous ceux qui payent peuvent discuter avec l’hôtesse, à un show privé en cam-to-cam avec un seul fan. Parfois c’est pour le sexe et parfois c’est simplement pour discuter (Richter de AWE raconte que certaines des hôtesses les mieux payées se déshabillent rarement).

Pour les filles, le business de la webcam se rapproche plus du travail de stripteaseuse que de celui d’actrice porno. Et comme une boîte de striptease, les sites de cams prennent une commission substantielle sur les gains, montant parfois jusqu’à 40%.

Quelques stars du x gèrent leurs cams de leur côté mais ça n’est rien par rapport à l’argent qu’elles peuvent gagner sur un site très fréquenté comme Live Jasmin. Même si toutes les stars du x ont leurs fans c’est s’en créer de nouveaux qui assure des revenus dans la durée. Pour pêcher une baleine il faut s’aventurer dans des eaux plus profondes.

Mais même sur un site avec beaucoup de trafic, c’est à l’hôtesse de transformer le visiteur en client. Une bonne hôtesse reconnaît votre pseudo, se souvient de vos goûts, vous fait des compliments et vous envoie des messages en dehors de ses heures de présence sur le site.

“Je leur parle,” raconte Samantha Ryan, qui a tourné pour des studios comme Pink Visual et Vivid, mais qui maintenant fait des cams quasi quotidiennement depuis chez elle à Los Angeles. “Je les accompagne jusqu’au show. J’essaie d’éliminer la distance entre nous.”

L’ère de la star du X inaccessible est terminée explique Ryan. Les cams exigent des compétences totalement différentes. “Les filles qui ne s’intéressent qu’à elles ? Ça n’amuse pas longtemps…”

Elle s’arrête comme pour éviter de vexer quelqu’un. Beaucoup d’hôtesses à succès continuent de chercher à tourner dans des pornos, autant parce que ça paye mieux à l’heure que parce que ça leur fait de la pub pour leurs shows webcam. Mais beaucoup de stars du X continuent de regarder le business des cams de haut. Quand on s’en sort bien dans le porn traditionnel, faire de la cam peut s’avérer risqué.

“La webcam peut tuer le fantasme,” explique Knox, en prenant soin de bien choisir ses mots. “Il se passe quoi si la nana devant la cam devient cinglée, ou se saoule et s’endort avec un gode dans la main ? C’est pas fait pour tout le monde.”

C’est aussi plus dur psychologiquement. Les hôtesses doivent interagir avec leurs fans 3 à 4 heures par jour. Et quand elles ne sont pas devant leur webcam, elles doivent continuer de poster sur Facebook ou Twitter. Si c’est la montée en vitesse des téléchargements qui a expliqué l’explosion de la VOD, c’est l’omniprésence des réseaux sociaux qui définit celle de la la cam.

Si quasiment toutes les stars du X sont actives sur les réseaux sociaux, les hôtesses les plus connues des sites de cams sont des artistes pour tout ce qui concerne leur utilisation.

Quand elles ne sont pas devant leur cam elles les utilisent pour surveiller ce qu’on dit d’elles et discuter avec leurs fans, pour être plus proches d’eux et les chauffer pour le show à venir. Et quand elles sont connectées elles envoient des tweets et des mails à leurs fans, leurs meilleurs clients peuvent même recevoir des textos. Et elles ont appris à se blinder contre les trolls et les phénomènes de masses.

“Il faut vraiment savoir gérer,” explique Ryan. “Pas simplement gérer son show mais aussi savoir parler aux gens et gérer ceux qui sont là pour te descendre.”

Les cams, comme les forums et les murs de Facebook, sont un aimant pour les gens mécontents et les trolls.

Dans un show récent quelqu’un lui a balancé “je préférerais choper l’herpès plutôt que te regarder”. Ryan explique qu’elle l’a pris avec humour en public car elle ne voulait avoir l’air chiante. Mais les attaques peuvent être vicieuses. “Je comprends la logique. Pour eux c’est une chance d’avoir un show en direct et en tête à tête avec nous, pour la première fois.”

Pour une nouvelle star comme Jessie Andrews, élue Meilleure Actrice de l’année aux AVN Awards, ça n’en vaut pas la peine. Les studios la payent plusieurs milliers de dollars pour quelques heures de travail, et quand on est jeune et qu’on habite à Los Angeles, ça peut suffire.

“Les cams c’est génial,” répond-elle dans un mail, mais elle explique qu’elle en fait rarement. “Je pense que les filles devraient toucher un plus gros pourcentage dessus”.

Certaines sociétés qui font de la cam essayent de séduire les hôtesses avec des commissions plus élevées, surtout que les modèles d’Europe de l’est, d’Inde ou de Colombie cassent les prix. Ryan gagnait plus de 1000$ par show, mais elle estime que ses revenus ont baissé de moitié l’an dernier parce que les clients ont pris l’habitude d’avoir plus tout en payant moins.

N’empêche, pour des hôtesses comme Ryan et Knox, c’est le prix à payer pour pouvoir contrôler leur destin. Un travail sérieux, sans que tout soit basé sur le physique, détermine combien d’argent elles peuvent gagner. Ce n’est pas un boulot aussi rentable que le porno en terme de gain par heure travaillée, mais il offre aux filles quelque chose que le porno ne leur a jamais offert : la prévisibilité.

Pour Ryan, cela veut dire qu’elle peut retourner à l’école pour devenir ingénieur. Elle a des revenus stables, et encore plus important un planning régulier. Quand elle tournait des scènes, elle pouvait à peine prévoir une séance de yoga, alors un semestre de cours c’était impossible. Maintenant elle choisit ses horaires et peut anticiper ses revenus.

Knox est du même avis. Elle continue de chercher du travail dans le X, elle appelle les films X “un hobby lucratif”, et continue de tourner quand elle est à Los Angeles, mais ce sont les shows webcams lui ont donné une vie.

“J’adore cette liberté. C’est le rêve américain. C’est trop cool.” Et elle s’excuse pour aller déjeuner à coté d’une piscine au Mexique.

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NOTE : ce billet est une traduction/adaptation d’un article de Michael Stabile sur Buzzfeed.